
Bessie Smith
Bessie Smith est née en 1894 dans le Tennessee, au Sud des États-Unis, dans un milieu extrêmement pauvre. Sa famille se partage une pièce dont le sol est en terre battue. Ses parents disparaissent alors qu’elle n’a que 8 ans, et les sœurs aînées sont forcées de subvenir aux besoins des plus petits.
Pour se faire un peu d’argent, Bessie chante dans la rue, accompagnée par son frère Andrew à la guitare. Elle rêve de fouler les planches, l’une des rares options disponibles pour échapper à une vie de misère à cette époque, lorsqu’on est afro-américain·e.
En 1915, elle rejoint la troupe de la grande chanteuse de blues Ma Rainey, qui deviendra son mentor, et part en tournée avec des troupes de minstrels et de variété. Née au 19e siècle, la minstrelsy a d’abord été inventée par des comédiens blancs qui se grimaient en Noirs, selon la pratique raciste du blackface, pour imiter et parodier, là aussi de manière raciste, la vie des Noirs dans le Sud. Après la guerre de Sécession et l’Émancipation, des troupes de minstrels noirs ont commencé à se former sur le même principe, dans l’espoir d’échapper à une condition bien souvent misérable et de faire évoluer le genre de l’intérieur.
Ces différentes tournées, ainsi que sa participation à des revues sur la côte Est, lui permettent de commencer à se faire connaître auprès du public noir, mais c’est par le disque qu’elle acquiert une popularité nationale. Son premier enregistrement, Down Hearted Blues (1923), s’est vendu à presque 800 000 exemplaires durant les six premiers mois de sa commercialisation. Elle réalise 160 enregistrements pour Columbia, souvent accompagnée des meilleurs musiciens de l’époque, notamment Louis Armstrong, Coleman Hawkins, Fletcher Henderson, James P. Johnson, Joe Smith, Charlie Green, et enregistre 200 chansons au cours de sa carrière.
Parlant de la condition afro-américaine depuis un point de vue féminin, Bessie Smith interprète des chansons sur les abus, les amants perdus, la rivalité et la jalousie féminines, les relations raciales, la misère, la mort… Son chant profond, son growl, sa voix grave, influenceront Billie Holiday ou Aretha Franklin, et resteront dans l’histoire comme la voix du blues classique.
En 1928, « L’Impératrice du blues », comme on la surnomme alors, est l’artiste noire la mieux payée des États-Unis. À partir du milieu des années 1920, pour contourner les contraintes de la ségrégation, elle voyage avec sa troupe dans son propre train, construit sur mesure aux frais de Columbia. Avec ses deux étages, ses sept cabines, sa cuisine et sa salle de bains, il était suffisamment grand pour accueillir confortablement la vingtaine de participants à son spectacle. Peint en jaune vif avec des lettres vertes, il était également reconnaissable ; tout le monde savait quand Bessie Smith arrivait en ville.
Smith était connue pour son alcoolisme, son goût pour la fête, sa personnalité brutale et ses frasques imprévisibles. Une anecdote en particulier est rapportée par la plupart des biographes : un soir de 1928, alors qu’elle est invitée chez Carl Van Vechten, célèbre photographe new-yorkais et soutien blanc de la Harlem Renaissance, elle s’en prend violemment, en l’insultant et la jetant à terre, à son hôtesse, qui voulait lui faire une bise.
Mariée deux fois, elle aurait entretenu des liaisons avec des dizaines de personnes, hommes ou femmes.
Pendant les années 1930, sa carrière connaît un certain ralentissement à cause de la Grande Dépression, et ne redécolle jamais vraiment.
Bessie Smith est décédée suite à un accident de voiture le 26 septembre 1937, sur une route du Mississippi. Comme le raconte notamment Edward Albee dans la pièce The Death of Bessie Smith, la légende veut qu’elle ait été transportée vers un hôpital pour Blancs, qui l’aurait refusée à cause de sa couleur de peau. Or, il était impensable à l’époque d’amener un Noir dans un hôpital pour Blancs. Il semble qu’en réalité un médecin soit arrivé sur les lieux, lui ait prodigué les premiers soins, et l’ait conduite au G.T. Thomas Afro-American Hospital. Là, elle aurait été amputée du bras droit, mais n’aurait pas repris conscience.
Elle a été enterrée en Pennsylvanie, dans une tombe qui est restée sans inscription pendant plusieurs années. En 1970, Janis Joplin, l’une de ses grandes héritières et admiratrices, fait graver sur sa tombe la phrase suivante : « La plus grande chanteuse de blues du monde ne cessera jamais de chanter ».