Carla Bley

Farouchement indépendante, Carla Bley (1936-2023), née Lovella May Borg, apprend le piano et la composition en autodidacte, bien que son père soit professeur de musique. Lovella, qui perd sa mère à 6 ans, est précoce dans tous les domaines. À 4 ans, elle écrit ses premières compositions ; à 5, son premier opéra ; et, dès qu’elle sait lire, décide de changer de prénom, et adopte celui de Carla. 

À 14 ans, Carla Bley quitte l’école et devient accompagnatrice de cours de danse et pianiste dans des clubs californiens (elle est née à Oakland). En 1955, à l’âge de 17 ans, elle s’installe dans la capitale du jazz, New York, et découvre son foisonnement artistique. Elle y rencontre le pianiste Paul Bley, qui deviendra son premier mari et lui donnera son nom. Peu à peu, elle se fait remarquer par l’originalité de ses compositions, qu’elle fait enregistrer par d’autres (George Russell, Don Ellis, Art Farmer, Paul Bley).

Au milieu des années 1960, elle dirige pour la première fois son propre orchestre, et ne s’arrêtera plus. Au Jazz Composer’s Guild Orchestra, co-dirigé avec le trompettiste Michael Mantler, son second mari, succéderont The Jazz Composer’s Orchestra, The Carla Bley Band, The Very Big Band, The Carla Bley Big Band, The Very Big Carla Bley Band… D’une dizaine de musiciens au début, ils passeront à une vingtaine dans les années 1990. 

Toute sa vie, Carla Bley mène de front plusieurs projets, et compose sans arrêt. En tout, elle a écrit plus de 300 compositions, et 37 œuvres ont été enregistrées sous son nom. 

Extrêmement originale, éclectique et anti-académique, sa musique est loin d’un jazz lisse et joli. Elle aime les cuivres qui jouent fort, cultive les imperfections pour mieux les sublimer, et glisse souvent des allusions sarcastiques dans la musique et/ou les paroles de ses albums. Elle pioche en outre dans toutes les cultures musicales, et arpente énormément de registres différents. Ses influences sont, en proportion variable selon les albums, Kurt Weill, Nino Rota, les Beatles, Thelonious Monk, Erik Satie, Ornette Coleman… 

Escalator Over the Hill, son œuvre la plus connue, comprend 53 musiciens en tout et paraît en 1972. « Escalator Over the Hill est un triple album de plus de deux heures de musique, qui mêle récitatifs, opéra, théâtre, poésie, country, jazz, rock, musiques non occidentales, électronique… Tout se passe comme si elle avait compressé plusieurs opéras pour aboutir à un seul », résument Jean-François Mondot et Ludovic Florin (Carla Bley, L’inattendu-e, Naïve Livres, 2013). 

À côté de compositions titanesques pour orchestre, elle peut aussi préfigurer le jazz fusion (« A Genuine Tong Funeral »(1967), composer de la musique de chambre (« 13 – 3/4 », 1974), lorgner du côté du rock et de la pop (« Fictitious Sports », paru en 1981 sous le nom de Nick Mason, le batteur de Pink Floyd, mais dont elle a arrangé tous les morceaux) et écrire des chansons (« I Hate to Sing », 1984). 

Carla Bley a toujours été attentive aux conditions de production de sa musique. Dans les années 1960-70, elle participe à l’aventure collective de la Jazz Composers Guild Assocation avant de fonder sa propre structure de diffusion, son propre label (Watt Works) et de construire un studio d’enregistrement, s’assurant ainsi une indépendance complète de production, distribution et réalisation technique. 

Les quatre disques qu’elle réalise en tant qu’arrangeuse entre 1969 et 2005 avec le Liberation Music Orchestra, dirigé par Charlie Haden, témoignent de son engagement politique en faveur de la liberté et de l’autonomie des peuples. 

À partir du milieu des années 1970, elle s’affirme progressivement comme instrumentiste, et enregistre plusieurs disques en duo avec le bassiste Steve Swallow, un ami de longue date devenu son troisième mari ; en trio avec en plus le saxophoniste anglais Andy Sheppard ; et en quartet avec The Lost Chords à partir de 2003. 

Sous l’influence de Steve Swallow, sa musique devient plus spacieuse, plus lyrique.

Lorsqu’elle disparaît en 2023, Carla Bley compte parmi les plus grandes compositeurice·s, chef·fe·s d’orchestre et arrangeur·se·s de l’histoire du jazz.