Dorothy Ashby

Dorothy Ashby (1932-1986) naît et vit la majorité de sa vie à Détroit. Redécouverte à la faveur de récentes recherches féministes et des hommages de la jeune harpiste américaine Brandee Younger, elle fait partie de ces musiciennes de jazz pionnières, virtuoses et polyvalentes, hélas négligées par la mémoire collective parce que femmes. 

Leadeuse, arrangeuse, compositrice et soliste, Dorothy Ashby n’est pas la première harpiste de l’histoire du jazz (avant elle, Casper Reardon et Adele Girard officiaient dans des orchestres de swing dans les années 1930), mais elle promeut la harpe au rang de soliste, et, malgré les difficultés techniques posées par l’instrument, adopte le jeu rapide du style bebop. 

Dorothy Ashby, née Thomson, commence par étudier le piano avec son père, touche à la contrebasse, au saxophone, avant de découvrir la harpe au lycée et d’en faire son instrument principal au début des années 1950. Après 3 ans à l’université, elle abandonne les études pour travailler, mais, à cause de la ségrégation, il lui est impossible d’être embauchée dans l’orchestre de Détroit (ils ne prenaient pas de Noir·e·s à cette époque). Elle occupe donc divers emplois et économise pour pouvoir s’acheter sa propre harpe. 

En 1951, elle épouse John Ashby. Il part rapidement en Corée faire la guerre, tandis qu’elle se fait progressivement une place sur la scène de Détroit. À son retour, le couple fonde le Ashby Trio (harpe, basse, batterie). John Ashby est à la batterie sous le nom de John Tooley, car « Ashby » est désormais trop associé à sa compagne et à son instrument. Le trio tournera beaucoup du milieu des années 1950 jusqu’au début des années 1970. Pourtant, les débuts sont difficiles : les patrons de clubs ne la laissent pas auditionner car ils n’imaginent pas qu’une harpiste puisse jouer autre chose que de la musique de chambre, sans parler des obstacles du genre et de la couleur. C’est en sillonnant les bals et les universités qu’elle se fait un nom, et qu’elle finit par être acceptée sur les scènes des clubs. 

En 1957, Frank Wess, un flûtiste et saxophoniste de l’orchestre de Count Basie, entend Dorothy Ashby dans un club. Leur dialogue aérien harpe-flûte constitue la trame des trois premiers albums de la musicienne : « The Jazz Harpist »  (1957), « Hip Harp » et « In A Minor Groove » (1958). Le succès est immédiat, et elle est remarquée par la critique comme une harpiste bebop importante.
Suivront, avec d’autres formations, les albums « Soft Winds » (1961), « Dorothy Ashby » (1961) et « The Fantastic Jazz Harp of Dorothy Ashby » (1965). 

Sous l’impulsion du producteur Richard Evans, elle s’ouvre ensuite à d’autres styles et incorpore des éléments de funk et de soul dans « Afro-Harping » (1968), « Dorothy’s Harp » (1969) et « The Rubáiyát of Dorothy Ashby » (1970). Avec en plus une influence orientale, du koto (sorte de harpe japonaise traditionnelle) et du spoken word (elle dit des poèmes d’Omar Khayyam), ce dernier album est peut-être le plus innovant et le plus original de toute sa discographie. 

Très impliquée dans la vie locale de Détroit, Dorothy Ashby crée en 1962 avec son mari la fondation Aid to the Creative Arts, pour financer des bourses en arts. Cinq ans plus tard, ils inaugurent The Ashby Theater Company, une compagnie de théâtre exclusivement afro-américaine qui présente des pièces et des comédies musicales militantes et révolutionnaires, dans la lignée du Black Arts Movement à New York à la même époque. En plus d’interpréter un rôle sur scène et de composer toute la musique, Dorothy Ashby joue avec son trio pendant les entractes. Les spectacles rencontrent un immense succès, mais le théâtre est partiellement détruit pendant les émeutes de juillet 1967. Malgré cela, l’aventure dure jusqu’en 1972.

En 1973, Détroit étant trop meurtrie par les émeutes, elle suit son mari à Los Angeles et trouve un emploi régulier comme accompagnatrice de studio dans la pop, tout en continuant à tourner avec un groupe de musique folk (The New Christy Minstrels) et à jouer avec de grands noms du jazz, du funk et du rhythm and blues (Freddie Hubbard, Hubert Laws, Earth, Wind & Fire, Stevie Wonder, Minnie Riperton, Bobby Womack, Diana Ross…). 

En 1984, elle enregistre deux albums solo, « Django/Misty » et « Concierto de Aranjuez ».

En 1986, à l’âge de 54 ans, elle meurt d’un cancer sans laisser d’enfants. 

Peu connue du grand public de son vivant, sa musique sera pourtant régulièrement samplée par des artistes de hip hop (J. Dilla, Jay-Z, Madlib, Drake, Pete Rock, Flying Lotus…).