
Leïla Martial
Née en 1984, Leïla Martial grandit dans une famille de musicien·ne·s classiques en Ariège, et entre dès l’âge de 10 ans à l’école de jazz du collège de Marciac, où elle s’initie à l’improvisation, qui deviendra le cœur de sa vie artistique. Parmi ses premiers coups de cœur : Sarah Vaughan, Betty Carter, les musiques tziganes, les polyphonies pygmées, Bobby McFerrin, les Beatles, Barbara, Abbey Lincoln, Aziza Mustafa Zadeh, le chant de gorge inuit, Simon & Garfunkel, Nirvana… « Que des musiques qui font sentir l’humain très proche. »
Même si elle a commencé par le piano, Leïla Martial a toujours chanté. « J’adore le rapport direct à l’émotion, à la sensation que permet la voix. Ça facilite aussi le partage, notamment en voyage : on peut chanter avec tout le monde immédiatement, n’importe quand. »
Après être passée par plusieurs écoles (CNR et Music’halle à Toulouse, CNSM de San Sebastian, CNR de Montpellier…), elle débarque à Paris en 2009, où elle remporte le 1er prix de soliste au Concours de Jazz de La Défense, ainsi que le 3e prix de groupe. Avec la même formation, elle enregistre en 2012 le disque « Dance floor », qui la fera connaître du monde du jazz.
En 2013, elle remporte le 1er prix de soliste au Concours de jazz vocal du Crest Jazz Festival, et, en 2014, est nommée lauréate de la tournée Jazz Migration avec BAA BOX, un trio qu’elle forme avec Eric Perez et Pierre Tereygeol, qui donnera naissance à deux albums, « Baabel » (2016) et « Warm Canto » (2019).
Leïla Martiel travaille depuis toujours à partir de ses propres compositions, et n’a jamais enregistré de standards. Pour celle qui se définit volontiers comme une « vocaliste multi-timbrée », il s’agit dès le départ de déborder du domaine de la chanteuse. « Jeune, l’archétype de la chanteuse me rebutait. J’avais la sensation que, dans notre monde très misogyne, il ne fallait surtout pas être amalgamée à une chanteuse pour être respectée. Donc j’ai tout fait pour qu’on ne me considère pas comme telle : j’arrivais sur scène habillée comme un sac, je ne chantais pas les thèmes, que les improvisations, etc. J’ai incarné l’anti-chanteuse pendant pas mal de temps. En fait, j’adhérais sans le savoir aux stéréotypes misogynes ; pour moi, les chanteuses n’étaient pas de vraies musiciennes. Dans les jams, j’avais une grosse pression sur les épaules, car j’étais la seule femme. Il fallait tout déchirer pour qu’on me respecte techniquement. »
Que ce soit dans ses propres projets ou lors de collaborations (avec Anne Pacéo dans « Circles », Valentin Ceccaldi dans Fil, l’Orchestre National de Jazz dans Rituels), Leïla Martial se forge progressivement une identité bien à elle — incandescente, fantasque, théâtrale. L’intention, la rythmique, la force de l’expression sont au cœur de son approche de la voix. Dans un geste ludique, elle invente des langues imaginaires, « entre scat et yaourt ».
Pour elle, chanter, c’est toujours aussi jouer, ce qui la conduit naturellement à expérimenter d’autres formes scéniques comme le théâtre, le mime, la danse… et le clown, en particulier au sein de son duo avec Marlène Rostaing, Furia. « J’ai fait du clown pendant 10 ans, ça a été une révélation. J’ai eu l’impression de rentrer à la maison ! Le clown est transgressif. C’est un endroit où il n’y a plus de genre, plus de politiquement correct. Ça ne ressemble à rien d’autre. C’est un état d’hyper-vérité et de présence, c’est soi en augmenté. C’est la liberté absolue. »
Parallèlement, elle nourrit sa passion pour les vies et les musiques des peuples nomades en partant au Congo à la rencontre de l’Ensemble Ndima pour ÄKÄ – Free Voices of Forest, un projet au long cours qui réunit 3 vocalistes français·e·s et 5 vocalistes-percussionnistes de culture Aka (c’est-à-dire autochtone ou « pygmée »). « C’est comme si cette façon de vivre, le nomadisme, me concernait. Comme ton patrimoine est mobile, le son devient presque une maison. La musique se confond avec un art de vivre du quotidien. Le chant a une fonction, il est partout, il peut accompagner toutes sortes d’activités. C’est aussi une manière de faire un avec l’environnement, et de créer des liens inter-générationnels, spirituels. La musique devient vibration. » Un spectacle est créé en 2021, l’album paraît en 2024, et un documentaire suivra prochainement.
Son attention à la nature et à l’environnement la conduit à rédiger en 2020 avec quelques ami-e-s l’appel « Pour une écologie de la musique vivante », accompagné de propositions concrètes invitant les acteurs de la musique à transformer leurs pratiques afin de les rendre compatibles avec une sauvegarde des espèces et de l’écosystème.
En 2020 toujours, elle reçoit le prix de l’Académie du Jazz pour son album « Warm Canto » et est élue Artiste vocale de l’année aux Victoires du Jazz.
En 2023, elle crée un seule en scène mûri depuis longtemps, Jubilä. Entre concert et performance clownesque, elle rassemble ses mondes. Avec sa robe de nymphe et sa couronne embroussaillée, invoquant Bach au goulot de mignonnettes, elle se fait créature antique, joueuse, clown-enfant, femme lyrique… « Ce que j’aime, c’est pouvoir devenir quelqu’un d’autre, endosser plusieurs identités à la fois. Jubilä, c’est la jubilation de pouvoir se permettre d’être qui on veut. C’est une traversée intime, où tous les registres se côtoient. » En 2024, elle a conquis le public du Festival d’Avignon, et un disque est en préparation.