
Bessie Smith fait ses débuts au sein de différentes troupes de minstrels et de variété. En 1915, elle rejoint le spectacle de la grande chanteuse de blues Ma Rainey, qui deviendra son mentor. Née au 19e siècle, la minstrelsy a d’abord été inventée par des comédiens blancs qui se grimaient en Noirs, selon la pratique raciste du blackface, pour imiter et parodier, là aussi de manière raciste, la vie des Noirs dans le Sud. Après la guerre de Sécession et l’Émancipation, des troupes de minstrels noirs ont commencé à se former sur le même principe, dans l’espoir d’échapper à une condition bien souvent misérable et de faire évoluer le genre de l’intérieur.

par le disque
Bien que participant à de nombreuses tournées, c’est par le disque que Bessie Smith acquiert une popularité nationale. Son premier enregistrement, Down Hearted Blues (1923), s’est vendu à presque 800 000 exemplaires durant les six premiers mois de sa commercialisation. Elle réalise 160 enregistrements pour Columbia, souvent accompagnée des meilleurs musiciens de l’époque, notamment Louis Armstrong, Coleman Hawkins, Fletcher Henderson, James P. Johnson, Joe Smith, Charlie Green, et enregistre 200 chansons au cours de sa carrière. Parmi les thèmes abordés : le sort des prisonniers, la pauvreté, les conflits raciaux ou encore la sexualité féminine.
Ses trois enregistrements Downhearted Blues, St. Louis Blues (1925) et Empty Bed Blues (1928) ont été intronisés au Grammy Hall of Fame.

« L’Impératrice du blues », comme on la surnomme, devient, à son époque, l’artiste noire la mieux payée des États-Unis. À partir du milieu des années 1920, Bessie Smith voyage avec sa troupe dans son propre train, construit sur mesure aux frais de Columbia, sa maison de disque, ce qui lui permet de contourner les contraintes de la ségrégation. Avec ses deux étages, ses sept cabines, sa cuisine et sa salle de bain, il était suffisamment grand pour accueillir confortablement la vingtaine de participants à son spectacle. Peint en jaune vif avec des lettres vertes, il était également reconnaissable ; tout le monde savait quand Bessie Smith arrivait en ville.

Comme celui de toutes les chanteuses de blues de l’époque, le répertoire de Bessie Smith est rempli d’imagerie sexuelle, y compris homosexuelle. Sa propre vie a été émaillée de relations amoureuses avec des membres des deux sexes. Sur un ton souvent provocateur, ses chansons revendiquent l’autonomie, la liberté et l’indépendance sexuelle des femmes, remettant en question l’idée selon laquelle la « place » des femmes se réduisait à la sphère domestique et conjugale. Les paroles mettent en scène des personnages féminins qui « contrôlent clairement leur sexualité, sans exploiter leur partenaire et sans l’être elles-mêmes » (Angela Davis, Blues et féminisme noir). Et quand elles font face à la violence des hommes, très fréquemment évoquée, c’est la tête haute et la confiance intacte.

Le 26 septembre 1937, alors qu’elle se dirige vers Clarksdale, dans le Mississippi, conduite par son ami et confident Richard Morgan, Bessie Smith est victime d’un accident de voiture qui lui sera fatal. Comme le raconte notamment Edward Albee dans la pièce The Death of Bessie Smith, la légende veut qu’elle ait été transportée vers un hôpital pour Blancs, qui l’aurait refusée à cause de sa couleur de peau. Il semble qu’en réalité un médecin soit arrivé sur les lieux, lui ait prodigué les premiers soins, et l’ait conduite au G.T. Thomas Afro-American Hospital. Là, elle aurait été amputée du bras droit, mais n’aurait pas repris conscience. Bessie Smith est décèdée à l’âge de 43 ans.
En 1970, la chanteuse Janis Joplin, l’une de ses grandes héritières et admiratrices, fait graver sur sa tombe la phrase suivante : « La plus grande chanteuse de blues du monde ne cessera jamais de chanter ».

Un peu de lecture
Stéphane Koechlin, Bessie Smith, des routes du sud à la vallée heureuse
Éditions Le Castor Astral, 2018

Chris Albertson, Bessie, Stein and Day, 1972
