Sister Rosetta Tharpe

Surnommée la « Marraine du rock’n’ roll », grande influence d’Elvis Presley et de Chuck Berry, Sister Rosetta Tharpe était une immense vedette dans les années 1940 et 50. En ouvrant les scènes profanes au gospel, elle a eu un énorme impact sur l’histoire de la musique populaire au 20e siècle. 

Née en 1915 dans l’Arkansas, Rosetta Nubin est une jeune prodige autodidacte. À l’âge de 6 ans, elle joue déjà de la guitare et chante comme personne, charmant tout le monde partout où elle passe. Sa mère, Katie Bell Nubin, ancienne cueilleuse de coton, est une évangéliste convaincue qui l’emmène chanter avec elle dans les églises. En 1921, Katie Bell déménage à Chicago et devient missionnaire pour la Church Of God In Christ. C’est le début d’une période de tournées mère-fille dans les églises et les conventions religieuses du pays, qui dure toute l’adolescence de Rosetta. Amenée à jouer devant des milliers de personnes, elle devient une célébrité au sein de la COGIC. 

En 1934, à 19 ans, sa mère la marie à un pasteur, Thomas J. Thorpe. Rosetta gardera le nom, en changeant une lettre, mais pas le mari. Deux ans plus tard, elle s’installe à New York avec Katie Bell, et décide de tout plaquer pour « aller dans le monde », a.k.a. sur les scènes de jazz. Engagée au Cotton Club, elle fait sensation dans la revue de Cab Calloway, avant de se produire avec les orchestres de Lucky Millinder, Count Basie, Duke Ellington… 

En se tournant vers un répertoire et un public profane, Sister Rosetta Tharpe, qui n’a de « sœur » que le nom, affirme une liberté alors peu commune. Cependant, devant le tollé suscité par certains choix jugés trop légers par son public religieux (en particulier I Want a Tall Skinny Papa), elle décide de se cantonner au répertoire qui faisait jusque-là son succès. Et, chose là aussi peu commune, réussit à conserver dans sa musique un mélange unique entre tradition gospel et énergie blues et swing, et ainsi à gagner les faveurs d’un double public, religieux et profane. 

En 1938, elle signe avec Decca Records, marquant le début d’une série de succès phonographiques. Sister Rosetta Tharpe devient la première superstar gospel. C’est elle qui choisit ses chansons, et elle les interprète à sa manière. Son extraordinaire présence scénique rameute les foules. Pendant les années 1940, elle tourne dans tous les États-Unis avec son propre bus et des choristes (The Dixie Hummingbirds, The Rosettes, et même le chœur blanc The Jordanaires), tout en étant confrontée, malgré son statut de star, à d’« étranges choses au quotidien » (Strange Things Happening Every Day), à savoir les multiples humiliations générées par la ségrégation. 

En 1945, à 30 ans, elle a déjà été mariée deux fois, et a eu plusieurs liaisons avec des hommes et des femmes. Au printemps 1946, elle rencontre la chanteuse et pianiste Marie Knight, et lui propose de former un duo. Leur version du gospel Up Above My Head devient très populaire, et elles tournent ensemble pendant 4 ans, sans aucune présence masculine à leurs côtés, là encore un geste osé pour l’époque. Leur relation amoureuse ne fait de doute pour personne aujourd’hui, même s’il eût été impensable de la révéler alors au grand public. Leur collaboration prend fin brutalement en 1950, lorsque Marie Knight apprend le décès de sa mère et de ses deux enfants dans un incendie. 

Durant les années 1950, la nouvelle musique qu’on appelle le rock ’n’ roll s’implante peu à peu, et elle est incarnée par de jeunes hommes blancs qui, même s’ils admirent et s’inspirent du jeu de guitare et du style de Sister Rosetta Tharpe, la relèguent quelque peu au placard. Pour la relancer, deux promoteurs imaginent de la marier en public. Le 3 juillet 1951, elle épouse donc Russell Morrison, rencontré quelques semaines auparavant, devant 20 000 personnes dans un gigantesque stade de base-ball à Washington. La cérémonie et le concert qui s’ensuit sont enregistrés et publiés par Decca. 
Russell Morrison devient en même temps son manager, et, même si leur mariage n’est pas des plus heureux, restera aux côtés de son épouse jusqu’à la fin de sa vie. 

Malgré ce coup médiatique réussi, le déclin suit inexorablement son cours. Sister Rosetta Tharpe s’est installée dans une petite maison à Philadelphie avec sa mère et son mari, quand une invitation inopinée relance une nouvelle fois sa carrière. Chris Barber, un jeune tromboniste, l’invite pendant un mois en Angleterre. L’Europe découvre Sister Rosetta Tharpe, et lui offre une seconde jeunesse. 
En 1964, elle se produit dans une gare abandonnée près de Manchester avec le bluesman Muddy Waters, et livre une performance qui, malgré la pluie, le froid et l’éloignement du public, situé de l’autre côté des voies, restera dans les annales. 

Sister Rosetta Tharpe disparaît en 1973, malade et diminuée. Sur son épitaphe, on lit : « Elle chantait jusqu’à vous faire pleurer pour, ensuite, chanter jusqu’à vous faire danser de joie ». En 2018, la première guitar hero du rock est intronisée au Rock & Roll Hall of Fame.