
Sun Mi-Hong
Née en 1990 en Corée du Sud dans une famille de petits commerçants, Sun-Mi Hong découvre la batterie par hasard, à 12 ans, dans l’église protestante où elle vient chanter toutes les semaines avec sa mère. C’est un coup de foudre. La jeune fille « tombe amoureuse du son de la batterie, de cette énorme vibration ». À partir de ce jour-là, jouer de la batterie devient une obsession. À l’église, elle se cache dans un coin pour observer le musicien — « je ne connaissais même pas le nom de l’instrument ! » — et demande à ses parents d’y être initiée. « Je jouais déjà du piano, mais ils ne m’ont pas laissée essayer la batterie, jugeant que ce n’était pas un instrument féminin. »
Devant ce refus, elle devient « de plus en plus mordue. Je prenais tout ce que je trouvais dans la cuisine pour me fabriquer mon propre set, des casseroles, des baguettes, et j’imitais le jeu du batteur de l’église ». Au bout de cinq ans, voyant que son engouement ne faiblit pas, ils finissent par céder et la laissent prendre une leçon d’une heure avec un professeur particulier. L’endroit est petit, sombre, enfumé. Le professeur vient du métal. « J’étais si heureuse ! » Elle reste dans le studio 4 heures de plus pour pratiquer seule. « Je tremblais de partout tellement j’avais joué longtemps, mes muscles n’étaient pas habitués. »
Elle étudie 6 mois avec lui, puis commence à s’entraîner pour le conservatoire. Son père lui construit un studio de répétition, et en échange lui fait promettre d’intégrer l’établissement dès l’année suivante. Pendant deux ans, elle joue 8 à 10h par jour. « Du lycée, j’allais au studio, je travaillais jusqu’à 4h du matin environ, je dormais là, et je repartais directement en cours le lendemain matin. » Épuisée, elle dort en classe, mais le travail paie, et elle entre au conservatoire.
« Au final, je n’y suis restée qu’un an ! », confie-t-elle en riant. « On étudiait de la pop, de la variété. Pour moi, tout était nouveau, car, en grandissant, je n’avais écouté que de la musique religieuse. J’avais beaucoup de retard à rattraper par rapport aux autres. Mais j’étais frustrée par ce que j’apprenais, je trouvais que je manquais de liberté. C’est comme ça que mes profs m’ont conseillée de faire du jazz. »
Sauf que le conservatoire n’enseigne pas le jazz, et qu’il est extrêmement difficile pour une femme de faire son trou comme musicienne, et particulièrement comme batteuse, en Corée. Elle doit également faire face à toutes sortes de comportements abusifs de la part des hommes. Sun-Mi Hong cherche alors où elle pourrait apprendre le jazz, et candidate au conservatoire d’Amsterdam, à l’autre bout du monde. Elle n’y a jamais mis les pieds, mais il y a une grosse émigration coréenne aux Pays-Bas, alors pourquoi pas. Le jour de l’audition, elle ne parle ni anglais ni néerlandais, et c’est une amie qui doit lui traduire le verdict : elle est prise.
À 20 ans, c’est le début d’une nouvelle vie. C’est un soulagement, mais elle doit tout apprendre : la langue, les mœurs (« on n’a pas la même approche du temps ! »), et bien sûr, la musique. Ses influences sont Brian Blade, « mon héros absolu, autant comme musicien que comme personne », Roy Haynes, Tony Williams, Elvin Jones… et puis les gens en général, le melting-pot d’Amsterdam, qui tranche avec la Corée, moins diverse. Sa vie et son parcours se retrouvent dans sa musique, qui en reflète les étapes.
Pendant sa formation, elle crée un quintette (trompette, saxophone ténor, piano, contrebasse, batterie) qui deviendra officiellement le Sun-Mi Hong Quintet avec la parution de « First Page en 2017 ». Suivront « Second Page: A Self-Strewn Portrait » en 2020 sur ZenneZ Records, et « Third Page: Resonance » en 2022 sur le prestigieux label anglais Edition Records. Dans une sorte de boulimie, d’urgence, elle candidate au plus de programmes, festivals et prix possibles, dans l’idée de faire un maximum de choses avant 30 ans, comme si son père la surveillait encore, de là-bas. « Aujourd’hui j’apprends à me détendre, à laisser venir. Ça n’a pas été facile. » Son histoire séduit la presse, et elle obtient une reconnaissance rapide. Lauréate du prix Edison pour « A Self-Strewn Portrait » et de la Dutch Jazz Competition 2018, elle se produit avec son quintette dans différents clubs et festivals en vue, dont le North Sea Jazz Festival.
En-dehors du quintette, elle a un duo avec le trompettiste Alistair Payne, ainsi qu’un trio avec en plus Nicolō Ricci, un saxophoniste italien basé à Amsterdam. Il lui arrive aussi de se produire en solo si on le lui demande, mais elle préfère jouer avec les autres. « Pour moi, la musique est un dialogue. C’est comme une conversation, on se parle en musique. On s’écoute et on se répond, en fonction de règles préétablies selon les groupes. Mais avec le duo, on ne fait qu’improviser. » Elle donne également des master classes de temps en temps. « La transmission est très importante pour moi. Je n’avais aucun modèle féminin en grandissant. On a besoin de voir plus de femmes batteuses ! »
Que ce soit dans l’écriture ou sur scène, à plusieurs ou seule dans le studio de répétition, la musique comporte pour Sun-Mi Hong un aspect profondément spirituel. « La musique est plus que de la musique, il y a autre chose. Après tout, c’est à l’église que j’ai commencé ! À travers la musique, je découvre ce que je peux faire, et qui je suis. Et puis, la musique me soigne, d’une certaine manière. Je n’ai pas grandi dans une famille aimante, douce. La batterie m’a sauvée. »